VIGNE Le vigneron ne se repose jamais. Quand il n’est pas dans sa vigne ou au carnotzet, il réfléchit à son avenir. A l’exemple des Payernois qui se lancent dans le haut-de-gamme. Partout ailleurs on se tâte, entre les enjeux environnementaux et les envies de la clientèle. Tour d’horizon.
» Soyons fiers de ce que nous possédons et valorisons-le ! » C’est en ces termes que l’œnologue payernois Gilles Musy a accueilli une poignée de dégustateurs avertis, vendredi dernier à la Cave de l’Abbatiale. Ce ne sont point les nouveaux crus 2021 qu’il faisait déguster, non, mais deux assemblages bien particuliers, millésime 2019, qui visent essentiellement la gastronomie.
Le 1er avril 2019, Gilles se lançait un nouveau défi, tandis qu’il venait d’arriver à Payerne. «En Lavaux, nous avons un diamant brut exceptionnel qui ne demande qu’à être poli», explique-t-il, tandis qu’il a eu l’idée de proposer deux vins à haut potentiel de garde qui faisaient défaut à la gamme proposée.
Le retour du Partisseur
Vendredi, avec son collègue vigneron-tâcheron Arthur Pidoux, il a dévoilé les contours de deux vins baptisés Partisseur, l’un tout blanc, l’autre tout rouge. Pour le premier, il s’agit d’un assemblage de sauvignon blanc, de pinot gris et de viognier. Pour le rouge, c’est un savant mélange de merlot et cabernet sauvignon. Les deux Partisseur sont élevés 12 mois en barriques de chêne neuves, suivis de 12 mois de cuve, puis 8 mois en bouteille. «Les vins sont le reflet de ce que nous sommes. Ici, ce sont trois années de patience et de passion. Nous avons soif d’apprendre et envie d’exploiter ce domaine de 13 hectares», prévient Gilles Musy, tandis que les deux vins auront un fort potentiel de garde, avec une apogée dans 10 ans.
Le résultat est malheureusement difficile à expliquer sur le papier, mais croyez-en le soussigné, c’est flatteur et prometteur. Nous sommes ici dans un marché de niche et il n’y en aura pas pour tout le monde, ce d’autant que le prix (30 francs le flacon) n’est pas non plus à la portée de toutes les bourses.
Quant au Partisseur, il rappellera aux Payernois le nom d’un autre assemblage, d’un autre temps révolu, le pinot-gamay. «Le partisseur était une personne qui, lors de la vendange, faisait le lien entre la vigne et la cave. C’est un joli clin d’œil à ce que nous remettons en place», explique Gilles Musy.
Si le merlot, le sauvignon, pinot gris et viognier ne sont pas des nouveaux venus dans les cépages payernois, le cabernet sauvignon l’est. La paire Gilles et Arthur a aussi planté du cabernet franc dans les treilles qui trouvera ensuite sa place dans des assemblages. «Plus tard, nous aimerions aussi mettre du malbec qui doit bien se plaire dans ce terroir, ainsi que du plant Robert, un vin plus facile. Par contre, on pense ne plus planter de pinot gris, trop solaire pour Lavaux. On va aussi introduire du savagnin blanc», expliquent les deux vignerons.
Dans les parchets payernois situés en Lavaux, depuis le XVIe siècle, on perpétue l’héritage des moines vignerons de Cluny. Ainsi, pour le Partisseur rouge, Gilles et Arthur ont foulé le raisin dans les cuves avec les pieds. «Nous n’utilisons plus d’herbicide depuis quelques années. L’herbe entre les ceps permet de lutter contre le réchauffement climatique, explique Arthur Pidoux. Pour la suite, nous allons vers du bio, tout en gardant les cépages traditionnels que sont le chasselas ou le pinot qui s’épanouissent sur les coteaux de Lavaux.»
«Quelle chance on a! D’une part d’avoir un patrimoine en Lavaux, mais aussi d’avoir deux personnes passionnées par leur travail. Avec ces deux nouveaux vins, on va encore plus loin, histoire de nous démarquer des autres», s’est enthousiasmé le syndic Eric Küng, en marge de ce baptême.
Sans chimie, un défi
Comme on peut le voir dans notre tour d’horizon, non exhaustif, entre le vignoble de la rive sud du lac de Neuchâtel, le Vully et les voisins corçallins, les vignerons ne restent pas sur leurs acquis. Les cépages traditionnels ont certes encore de beaux jours devant eux, mais les vignerons souhaitent aussi proposer d’autres produits. Non seulement pour le palais de leur clientèle, mais aussi dans un souci environnemental, en mettant le plus possible de côté la chimie, même si s’en passer est aussi un défi, compte tenu de la météo capricieuse de ces dernières années.
Texte : Rémy Gilliand
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